News des conseils #5: admissions, sélection, start-up nation

Retour des vacances avec un Conseil de l’Institut et un Conseil de la Vie étudiante et de la Formation plutôt légers en termes d’ordre du jour. On a commencé le CI par un bilan des admissions pour 2018, avec plusieurs points à soulever selon nous :

Sélection et parisiano-centrisme

– Le taux de sélection en Collège universitaire (c’est-à-dire le pourcentage de candidats finalement admis à Sciences Po) est de 17% (contre 19% en 2017) ; pour les admissions en master, ce taux monte à 24% (30% pour 2017). Sciences Po reste donc toujours un espace très sélectif et concurrentiel, et si l’administration ou l’UNI parlent d’excellence, de notre côté nous réaffirmons notre positionnement pour une éducation gratuite et ouverte à tou-te-s.

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– Comme on peut le voir dans ce tableau, le taux de sélection en Collège U est bien plus élevé pour candidat-e-s des procédures par examen et CEP que pour celleux de la procédure internationale, passant quasiment du simple au double. Le sujet a été abordé en Conseil : l’administration a indiqué qu’il y avait une volonté d’aller vers une convergence des deux taux, et a expliqué qu’il y avait déjà une forme de pré-sélection chez les candidat.es à la procédure internationale, qui résidait dans la décision d’étudier à l’étranger. Un des membres du Conseil, Mr Lazar, a répondu très justement que cette pré-sélection était une sélection sociale, liée très souvent à des privilèges familiaux. On partage son point de vue, d’autant plus que les étudiant-e-s extra-communautaires payent automatiquement les frais de scolarité maximum et ne bénéficient pas de l’échelonnement.

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– Autres statistiques intéressantes, celles de la proportion de femmes et d’hommes parmi les candidat-e-s et les admis-e-s au Collège U. On constate qu’en 2018, s’il y a toujours une majorité de femmes dans les admis-e-s, il y a également plus de candidates : au final, le taux de sélection pour les candidates est plus élevé. L’écart n’est pas énorme, mais c’est une bonne illustration du fait que dans une société patriarcale, les femmes doivent toujours fournir plus d’efforts que les hommes à compétences égales, et sont toujours jugées plus sévèrement.

– Enfin, et comme l’ont fait remarqué les élu.es UNEF lors du Conseil, Sciences Po reste très parisiano-centré puisque 42% des candidat-e-s viennent de lycées en Ile de France (contre 33% des régions et 3% pour l’outre-mer) ; 25% des admis-e-s viennent de lycées d’Ile de France (36% des régions et 3% d’outre-mer). Cela pose le problème de la reproduction sociale (notamment dans les lycées d’élites parisiens) et de la plus faible accessibilité à Sciences Po pour les lycéen-ne-s non parisien-ne-s, qui visiblement candidatent moins, parce qu’iels entendent moins parler de Sciences Po, qu’on ne leur présente pas comme une possibilité dans leur lycée, qu’iels s’autocensurent en pensant ne pas être capable d’y entrer, et parce qu’il est cher d’étudier à Paris. L’administration a indiqué en Conseil que la plupart des lycées concernés par la procédure CEP se situaient en Ile de France, et que les candidats à la procédure CEP se déclarent candidat.es et sont comptabilisé.es comme tel.les avant même l’étape d’admissibilité réalisée par leur lycée, ce qui expliquerait donc en partie le chiffre élevé de candidat-e-s francilien-ne-s et nuancerait la critique selon laquelle recruter en Ile-de-France, c’est recruter des étudiant.es en moyennes plus favorisé-e-s. Néanmoins, les candidat.es CEP représentaient en 2018 seulement 900 personnes sur 9000 candidat.es au total, l’argument avancé n’est donc que très partiellement explicatif. L’administration a en tout cas affirmé travailler sur le sujet, notamment en faisant des campus en région le levier d’une plus grande attractivité auprès des lycéen-ne-s non francilien-ne-s, et en menant une réflexion sur l’appui à la mobilité qui pourrait être réalisé au profit des étudiant-es de toute la France, pour que le fait d’étudier à Paris soit plus accessible. 

Réforme des inscriptions pédagogiques

Ce point-ci, à l’ordre du jour du Conseil de la vie étudiante et de la formation, a été l’occasion pour les élu-e-s de faire remonter une fois de plus les frustrations des étudiant-e-s face au tristement célèbre système des IP. L’administration a de son côté annoncé qu’une nouvelle interface allait être créée pour 2022, plus lisible et rassemblée en une seule page. Est étudiée également l’idée d’une liste d’attente mise en place en amont, pour identifier les charges éventuelles sur certains cours.

Enfin, on signale que l’administration a indiqué lors du Conseil que les étudiant-e-s qui travaillent pendant les IP peuvent s’adresser à leur secrétariat pédagogique pour réaliser leurs IP en amont (sur présentation d’un justificatif). On vous invite donc à vous saisir de cet aménagement si vous étiez concerné-e.

Trop d’entrepreneurs, pas assez de poètes

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Ensuite, une présentation du Centre pour l’entreprenariat, qui offre la possibilité aux étudiant.es de Sciences Po de suivre des cours sur l’entreprenariat et de bénéficier d’un incubateur pour monter leur start-up, avec entre autres un voyage à la Silicon Valley ou à un endroit du même style. Bon, autant dire que la start-up nation à Solidaires c’est pas trop notre tasse de thé… Pour nous, le développement de ce genre d’enseignements est révélateur d’une tendance croissante en Europe, et de la “volonté plus générale de soumettre les domaines de la recherche et de l’éducation, c’est-à-dire la production et la transmission des savoirs, aux logiques de rentabilité et d’accumulation proprement capitalistes.” Les auteur-es de La grande mutation, néolibéralisme et éducation en Europe[2] l’expliquent mieux que nous : 

« Le point fondamental tient à ce que l’Europe se construit selon une norme suprême, qui n’est pas toujours clairement énoncée: la logique de marché étendue à tous les domaines3. (…) Compétitivité, concurrence, compétence: voilà le triangle dans lequel il conviendra désormais de penser l’homme européen réduit à devenir une ressource économique, un matériel productif, un «capital humain». L’actuel projet éducatif de l’UE veut faire du système éducatif un instrument au service de la compétitivité, il a pour principe l’instrumentalisation de l’homme au service de l’économie. Ce qui a pour conséquence de miner l’ensemble de l’édifice institutionnel qui a permis, non sans des luttes séculaires acharnées contre les pouvoirs établis, de constituer un espace autonome favorable au développement de la pensée libre. »

Le développement d’un enseignement aboutissant à la création de start-ups correspond à notre sens tout à fait à cette analyse. Il est révélateur également de la privatisation de l’enseignement, puisque ce Centre est financé notamment par Goldman Sachs, la Fondation Chanel, Axa ou Pepsi. Clairement, ce n’est pas au niveau du Conseil de l’Institut qu’on a un quelconque pouvoir d’influence sur ce genre de décisions et de programme, mais on a quand même fait une intervention en demandant que soit inséré dans cette formation (qui se réclame d’une pseudo analyse critique) des cours de sciences sociales et une réflexion sur l’entreprenariat et les start-ups, notamment sur la précarité qu’engendre ces dernières via les phénomènes d’ubérisation du travail, ou encore sur la place des questions environnementales dans l’entreprenariat. On a peu d’espoir d’être écouté – et encore moins dans des espaces institutionnels comme ceux des conseils – alors en attendant, on continue notre lutte pour une éducation gratuite, ouverte à tou-te-s, critique et populaire

[1] https://www.contretemps.eu/rentree-des-classes-dans-la-nouvelle-ecole-capitaliste/

[2] La grande mutation, néolibéralisme et éducation en Europe, Isabelle Bruno, Pierre Clément, Christian Laval, Editions Syllepse, 2010. Introduction et premier chapitre téléchargeables gratuitement ici : https://www.contretemps.eu/extrait-louvrage-grande-mutation-neoliberalisme-education-en-europe/

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